Mémoires de Master 2 soutenus à la Faculté Jean Monnet

Gouvernance de projets de développement durable au Sud
Année universitaire : 2014-15

  • Auteur : Jéromine Chaumard
  • Directeur : Delphine Placidi-Frot

Souveraineté alimentaire en Afrique de l'Ouest : quel modèle pour nourrir la population ? 

Vous pouvez consulter le texte de ce mémoire à la bibliothèque de la recherche (Sceaux)
  • Résumé :

    La souveraineté alimentaire des Etats ouest-africains est un objectif primordial pour assurer aussi bien la sécurité alimentaire qu’affirmer une souveraineté économique encore trop soumise à la pression de la mondialisation économique.
    Plusieurs acteurs considèrent que l’Afrique est à un moment clef de son développement au vu de l’importante pression démographique et de l’urbanisation grandissante des territoires. Cette population qui ne cesse d’augmenter - depuis 50 ans elle a été multipliée par quatre - doit pouvoir se nourrir et toute la question pour les Etats réside dans les choix politiques et économiques à opérer pour l’agriculture.
    En Afrique de l’Ouest, le secteur agricole emploie près de 70% de la population dont près de 60% pratiquent une agriculture familiale au sein de petites unités d’exploitation. Cette agriculture familiale est plurielle et peut aussi bien emprunter les itinéraires techniques de l’agriculture conventionnelle qu’adopter des modèles agricoles alternatifs afin d’atteindre les objectifs de sécurité alimentaire. Parallèlement à cette agriculture familiale largement majoritaire se développe depuis quelques années un modèle agricole agro-industriel qui semble capter l’attention des gouvernements afin d’obtenir des devises pour acheter sur le marché mondial. Ce modèle «agrobusiness» correspond à la fois à une avancée du secteur privé dans l’agriculture et à une «interpénétration du public et du privé», où le privé prend des parts de marché de plus en plus importantes sur un marché agricole mondialisé - le champ africain est de plus en plus en concurrence avec le champ latino-américain ou asiatique.
    Ce modèle est encouragé en Afrique de l’Ouest par les bailleurs de fonds et les organisations internationales (Banque Mondiale, FMI, OCDE, G20) qui le préconisent comme la solution pour atteindre l’objectif de sécurité alimentaire dans la sous-région. Présenté comme une panacée, ce modèle se veut capable de nourrir la population ouest-africaine avec des rendements importants sur le court terme grâce à des itinéraires techniques normés, l’utilisation d’intrants (minéraux, semences, produits phytosanitaires etc.) et la mécanisation de la chaîne de production. Il est également présenté comme un modèle capable de répondre au problème du chômage en Afrique de l’Ouest et se dit plus résilient que l’agriculture familiale, grâce à une forte intégration au marché mondial et à des débouchés assurés pour les denrées cultivées. Or, il s’avère que ce modèle agrobusiness, plutôt que d’encourager l’économie locale viendrait destructurer les marchés et les économies et entraînerait une paupérisation des paysans, sans répondre aux enjeux de réduction de l’insécurité alimentaire. Ces derniers se retrouvent alors en position d’ouvriers agricoles, parfois même sur leurs propres terres, car ils sont confrontés à des logiques de marché qu’ils ne maïtrisent pas forcément et doivent faire face à des investissements recommandés par les politiques qu’ils ne sont pas en mesure d’assurer. La mécanisation intensive de la chaîne de production vient remplacer la main-d’oeuvre tandis que les promesses d’importants rendements ne sont pas toujours tenues, faute d’itinéraires techniques adaptés aux contextes locaux. A la lecture des expériences passées - NASAN, ID3A etc. - l’agrobusiness apparaît alors comme une «fausse solution» pour assurer la sécurité alimentaire et viendrait nuire à l’affirmation d’une souveraineté alimentaire pérenne.
    Face à ce modèle, l’agriculture familiale souffre encore de nombreux préjugés et peine à convaincre les décideurs politiques quant à ses capacités à nourrir la population ouest-africaine. Souvent perçue comme archaïque, l’agriculture familiale s’avère être cependant le modèle capable d’assurer la sécurité alimentaire et d’affirmer la souveraineté alimentaire des Etats d’Afrique de l’Ouest grâce à ses savoir-faire adaptés aux contextes locaux et à la valorisation de la biodiversité notamment. Même si toutes les agricultures familiales ne sont pas soutenables et méritent d’évoluer à la faveur du renforcement des capacités théoriques et techniques des paysans, certains types d’agricultures familiales, comme l’agroécologie, s’avèrent être hautement innovants et en capacité d’assurer des revenus paysans conséquents, qui sont plus autonomes (mobilisation des ressources et des savoir-faire locaux) et économes (plus résilients face aux chocs des marchés). Au-delà du facteur productif, il a été démontré que l’agriculture familiale est l’une des solutions pour pallier le problème du chômage dans la zone, notamment du chômage des jeunes, et a un potentiel de résilience nettement supérieur au modèle agrobusiness. L’agriculture familiale vient renforcer l’économie et les marchés locaux et affirme la diversité culturelle et alimentaire des territoires.                      « L’agriculture familiale est un modèle agricole qui entretient des liens profonds entre le foyer et la terre, qui a une valeur intrinsèque et n’est pas seulement perçue comme un bien . [...]. Le travail agricole est fait des dimensions alimentaire, culturelle et de dignité. » (J.P Sikéli, COPAGEN).
    Au-delà du modèle agricole, c’est également tout un choix de développement pour les pays et le bien-être des populations qui doit être fait. Aujourd’hui, certains enjeux transversaux cristallisent le débat et pourraient faire basculer les pays vers un modèle de développement ou un autre. De nombreuses réformes - foncières, semencières, économiques - ont été entamées par les pays qui semblent séduits par les promesses du modèle agrobusiness. Mais les consensus sont difficiles à trouver et les rapports de force entre les acteurs déséquilibrés. Cependant, le monde paysan, longtemps tenu à l’écart des espaces de discussion et déconsidéré par les gouvernements, se forme, se mobilise et se structure. Ainsi, il s’affirme désormais comme véritable force de pression politique sur les décideurs grâce à une dimension de plaidoyer qui prend de l’ampleur pour défendre l’identité paysanne et le droit des paysans.
    Les choix politiques faits pour l’agriculture sont emblématiques de ce qui se joue sur les autres champs de bataille : énergie, société, consommation, développement, industrie, croissance économique, politique. Ces choix sont à questionner en termes de souveraineté alimentaire mais aussi de souveraineté populaire. Ils déterminent un système de pensée et de valeurs ; les mêmes combats se déroulent autour des modèles énergétiques, des modèles de société. Si les approches manichéennes et dogmatiques sont à proscrire, il s’agit fondamentalement de décider de poursuivre un système parfois injuste et destructeur ou de (re)donner du sens et une vraie place aux alternatives plurielles et diverses pour s’engager sur la voie d’un changement de paradigme qui placerait en son coeur la sécurité et la souveraineté alimentaires, l’adaptation aux changements climatiques et de biodiversité, promoteurs de justice sociale.

  • Langue du texte : Français
  • Mots-clés : Souveraineté alimentaire, sécurité alimentaire, modèles agricoles, Afrique de l'Ouest
  • Domaine(s) :
    • Sécurité alimentaire
  • Nombre de pages : 128